Revenir au chapitre 1 : Instants de quête
La lecture de la première partie me plonge très rapidement dans les événements, les lieux et les individus ayant contribué à me projeter dans ce périple.
Tout a effectivement démarré à Berlin alors que je faisais une nième visite à mon médecin, le célèbre Docteur H. « Hache » me suivait depuis des années pour une pathologie chronique demandant des consultations régulières. Une fois la phase aiguë passée, je ne le voyais, en principe que tous les quatre mois lors d’un contrôle de routine.
Ce jour-là, et comme à chaque fois, il relisait lentement et à haute voix ses notes du dernier rendez-vous. Sur un ton qu’il imaginait empathique, mais un peu condescendant à mon goût, il égrenait les résultats d’examens et lisait les rapports de confrères arrivés dans l’intervalle. Il les commentait avec conviction en insistant sur leur caractère « réjouissant », voir « heureux » en attendant une réaction de ma part qui l’autoriserait à une large digression sur telle ou telle étude venant de sortir.
Comme je n’avais pas l’énergie pour le diriger sur un sujet particulier, je me contentai donc d’assister avec amusement au ballet de ses « surligneur » fluo sur mon dossier déjà très coloré.
Après tant d’année à observer sa dextérité à la manipulation des différents feutres et bouchons, je n’avais toujours pas réussi à percer tous les secrets sur la signification des différentes couleurs. Il me semblait avoir identifié l’utilisation du jaune pour les nouveaux résultats importants, du vert pour les demandes à des spécialistes et du bleu pour les actions requérant une intervention de sa part.
À chaque visite, je remettais en question ma théorie sur son organisation personnelle en le voyant repasser frénétiquement du jaune sur du bleu pour probablement indiquer une tâche effectuée et donc, un nouveau résultat à considérer. Je constatais alors sa perplexité lorsque la ligne devenait verte et changeait probablement de signification dans sa belle codification. Il s’ensuivait alors une série d’effacements et de réécritures frénétiques ponctuées de profonds soupirs pour tenter de reconstituer une cohérence toute relative dans cette partie du dossier.

À force de me poser toujours les mêmes questions et d’entendre invariablement les mêmes réponses, nous avions, d’un accord tacite entre nous, élargi le périmètre des sujets de discussion.
Ce jour-là, son hésitation à aborder une nouvelle thématique était perceptible. À peine commencées, ses phrases se voyaient amputées des derniers mots comme si ceux-ci étaient trop gros pour franchir l’isthme de ses lèvres serrées.
« Est-ce que vous connaissez des patients souffrants des même …….. Ce serait bien… Euh… , pour vous… Pfff … »
Finalement, après quelques tentatives infructueuses, ponctuées de métaphores toutes plus capillotractées les unes que les autres, je finis par comprendre le rôle d’intermédiaire qu’il était en train d’interpréter !
« Euh … , vous pourriez le rencontrer … , euh … mais. … , ne dites pas que vous venez de ma part …, euh …, répondez à l’annonce publiée dans la « Berliner Zeitung » …, numéro X1T-6758-3456-123P et dites que vous êtes un thérapeute venant de Suisse. »
Sitôt sorti de son cabinet, je me rends au « Café Am Neuen See » situé au Sud-ouest du Tiergarten en espérant trouver le quotidien et surtout l’annonce devant y figurer !
À chacune de mes visites à Berlin, je ne manque pas de faire un détour par cet établissement et de m’attabler au Biergarten en bordure du petit lac pour déguster une de leur magnifique mousse. Ils n’ont malheureusement qu’un seul exemplaire de la « Berliner Zeitung » et, pour le moment, il est dans les mains d’une dame âgée semblant l’avoir monopolisé depuis une éternité.
Je ne sais combien de temps a duré la lecture des dix premières pages, mais depuis mon arrivée, le rythme a considérablement baissé. Elle a à peine terminé le cahier mondain et commence à étudier le premier mot fléché alors que j’ai déjà trois chopes vides devant moi !
Après un rapide calcul de probabilité prenant en compte le nombre de pages restantes, l’avancement de son jeu, les quatre autres personnes qui attendent le journal et l’augmentation de mon taux d’alcoolémie, je me décide à me lever et négocier un rapide coup d’œil sur les pages des petites annonces.
Je n’ai aucune peine à repérer ce que je recherche grâce à l’identifiant très particulier de la publication et au style pour le moins étrange du contenu.
« Pour vous, les hommes sont tous pareils
Jouer avec l’espace et le temps vous est familier
De mon passé et mon futur, mon présent vous pourriez me ramener
Karl-Z Gegenwart »
Suite prochainement dans le chapitre 3 : “La Mission”